Les présidents et rapporteur général du 118e Congrès des notaires de France ont, dans la continuité des travaux consacrés à l'ingénierie notariale, organisé pour le CSN un nouveau label consacré au conseil patrimonial et à sa mise en oeuvre dans les études, par le biais par exemple du Family office ; très attendu, il sera dispensé par de nombreux professeurs renommés de Clermont-Ferrand ou de Paris-Dauphine, déminents professionnels spécialisés et des confrères pratiquant cette matière depuis de nombreuses années.
La Semaine Juridique - Pourquoi s'engager dans une labellisation ? Pourquoi créer ce label en stratégie patrimoniale et familiale aujourd'hui ?
Thierry Delesalle - Pour commencer, pourquoi la labellisation, en général ? La labellisation permet à nos confrères, dans un certain cadre, de recevoir une formation 10 jours dans notre cas , moins contraignante que celle dispensée via un Master 2. Ce premier point explique le succès des labels. Cela dit, ce succès est aussi dû à l'avantage marketing qu'il procure aux notaires qui le reçoivent : ceux-ci peuvent en effet communiquer sur la spécialité qu'ils acquièrent. On a constaté par exemple, en matière de droit international, que des confrères qui ont passé le diplôme de l'Université de Lyon - le diplôme universitaire de Droit Notarial International - un diplôme autrement plus compliqué à obtenir qu'un label, n'arrivaient pas à communiquer dessus, ce diplôme ne parlant à personne. Ils ont alors suivi la formation du label de Droit International privé du Conseil Supérieur du Notariat et, cette fois, la communication a été facilitée et leur nouvelle spécialité valorisée. Le label constitue ainsi une sorte d'étiquette et nos confrères, forts de cela, peuvent développer d'autres services que le monopole classique auprès de leurs clientèles.
Alexandre Thurel - C'est tout à fait le sujet : pour ma part, par exemple, je suis diplômé en gestion de patrimoine à l'université de Clermont, et je ne communique pas dessus. Inversement, mes deux associés, qui ont suivi le label "Droit de la Famille" (en succession/divorce), bénéficient indéniablement d'une reconnaissance bien plus rapide et ce alors même que, potentiellement, un diplôme de Master 2 présente un plus fort effet de levier puisqu'il est la marque d'une formation au cours de laquelle nous acquérons une compétence plus développée. Mais, pour autant, le rendu immédiat n'est pas visible.
Thierry Delesalle,
notaire, président du 118e Congrès des Notaires de France.
Alexandre Thurel,
notaire, rapporteur général du 118e Congrès des Notaires de France.
Thierry Delesalle - Dans ce sens-là, les confrères qui font la démarche de commencer par le label arrivent à développer plus rapidement leurs affaires relativement à la spécialité choisie. Cela leur donne envie d'aller plus loin. L'objectif - et c'est ce qui est dit dans le cadre des labels, notamment dans le cadre de celui sur l'environnement - est de leur faire prendre conscience qu'il faut aller plus loin et, donc, après avoir obtenu "le vernis" (le label, obtenir un diplôme universitaire. Le label permet in fine de mettre en place un cercle vertueux de spécialisation des notaires.
Alexandre Thurel - Pour en revenir à la question subsidiaire posée : pourquoi ce label précis en stratégie patrimoniale et familiale ? Parce qu'il en manquait ! Il est la continuité du 118ème Congrès des Notaires que Thierry a initié. Nous souhaitons sensibiliser à la gestion de patrimoine, au Family Office, peu importe d'ailleurs le terme employé, car c'est tout simplement le quotidien des notaires dans n'importe quel office de France et de Navarre. Or, nombreux sont ceux qui pensent que cela n'intéresse que les gros dossiers, les grandes familles. Pourtant, la gestion de patrimoine concerne aussi, par exemple, le cas de figure du jeune couple avec un enfant qui achète son premier appartement en pensant qu'un PACS et un testament suffisent, et ce n'est pas le cas ! Autrement dit, on voudrait que les notaires développent des réflexes pavloviens et comprennent que la gestion de patrimoine, c'est tous les jours, et dans toutes les études, et ce, sur des dossiers plus ou moins importants. On veut qu'ils puissent conquérir ce marché qui est entre leurs mains et pour lequel ils ont le savoir. Par manque de temps ou par réflexe notarial, nos confrères ont tendance à éluder cet aspect de la profession, à savoir le conseil en ce domaine. Il est pourtant utile, voire nécessaire, d'éclairer le client sur les potentialités juridiques qui s'offrent à lui selon les cas de figures : quid s'il tombe un jour dans le coma par exemple ? Ces conseils en gestion de patrimoine favorisent la prévoyance et une telle prévoyance est précieuse pour le notaire puisqu'elle facilite son travail, le cas échéant. A l'heure où l'immobilier s'effondre, il s'agit d'un moyen de développer une activité annexe particulièrement profitable et appréciable par les temps qui courent. Ce qu'on ne peut pas faire en raison de la conjoncture immobilière, on le compense par autre chose !
Thierry Delesalle - L'objectif des labels, surtout celui-là, c'est de faire prendre conscience aux confrères que ce qu'ils font de manière désordonnée et à titre gratuit, à savoir donner du conseil, peut être organisé et transformé en activité rentable. On veut leur donner envie de s'organiser, de se spécialiser afin de rendre leurs activités de conseils rentables.
La Semaine Juridique - Vous étiez respectivement président et rapporteur général lors de ce 118e Congrès des Notaires centré sur l'ingénierie notariale. Vous y aviez évoqué l'idée d'accompagner les notaires dans une dynamique de conseil "haute couture". Comment allez-vous, durant ces 10 jours, les accompagner en pratique pour valoriser cette compétence de travail ?
Alexandre Thurel - Bien entendu, pour faire du conseil, encore faut-il maitriser notre matière, mais cela est un prérequis. Il y a des sujets importants sur lesquels nous allons retravailler : la transmission, l'optimisation de la gestion du patrimoine immobilier, la fiscalité (impôt sur le revenu, impôt sur les sociétés...). Cela dit, il faut avoir à l'esprit que nous n'allons pas réenseigner les bases. On peut considérer que tout le monde a le vernis principal lié à son diplôme de notaire. Plus précisément, sur les bases communes de tous, nous allons aborder des sujets bien plus tête d'éplingle qui peuvent faire la différence sur certains dossiers. Le module important du label est d'apprendre à nos confrères, au regard desdites bases, à écouter et retranscrire les demandes du client, à savoir délivrer un conseil, à savoir le retranscrire lui aussi et l'écrire et, enfin, à savoir le facturer.
Thierry Delesalle - Comme tous les labels, nous avons divisé le temps en deux fois 5 jours. Lors des deux premiers jours, il s’agira de leur faire prendre conscience qu’il faut arrêter de se focaliser sur les dossiers, mais qu’il faut se concentrer sur le client. Plus précisément, il s’agit de leur apprendre à écouter le client, à le facturer. En d’autres termes, il s’agit de leur donner des outils simples et efficaces pour découvrir des clients en conseil patrimonial. Nous souhaitons également leur parler de tout l’écosystème du conseil patrimonial aujourd’hui en place et ce, jusqu’au Family office – comment intégrer un réseau de Family office, par exemple.
Puis nous suivrons un découpage calqué sur celui du 118e Congrès :
• 2 jours de droit de la famille ;
• 2 jours relatifs au conseil en droit de l’entreprise ;
• 2 jours relatifs aux conseils en investissement immobilier ;
• les 2 derniers jours, on remet le couvert : comment délivrer un conseil et plein de cas pratiques. Nous souhaitons qu’ils repartent avec des outils pratico-pratiques.
De plus, nous imaginons que ce label va créer des liens entre les notaires (formateurs et autres) et qu’il permettra à terme de créer une association des anciens du label – c’était le cas par exemple du label Notaire Juriste d’entre- prise, qui a créé l’association « Notaire Conseil d’Entreprise ». On veut ensuite créer un groupe pour qu’ils aient tous des appuis au sein de la profession. Leur faire prendre conscience qu’il faut arrêter de se focaliser sur le dossier et se concentrer sur le client.
Alexandre Thurel - Indirectement, cela permet aussi – même si ce n’est pas le but –, à partir du moment où la profession met un coup de collier sur ces thèmes-là, de communiquer à l’échelle nationale (mais cela reste de la « politique fiction ») sur le fait que les notaires de France ne restent pas en marge d’un certain nombre de thèmes actuels et prégnants pour les clients. C’est aussi un moyen, au niveau national, de communiquer sur le sujet et de nous positionner.
La Semaine Juridique - Les dates précises des inscriptions et de la formation sont-elles arrêtées et combien le label coûte-t-il ?
Thierry Delesalle - Les inscriptions débutent en octobre ; la formation aura lieu à compter de février 2024. En février 2024, cela commencera par une visioconférence d’1 h 30. Il y aura trois visios d’1 h 30 sur des petites têtes d’épingle, voire pas que... puisque l’une des visios sera relative à la question des retraites ! Le premier module sera, quant à lui, en mars.
La Semaine Juridique - À qui les conseils en stratégie patrimoniale et familiale peuvent-ils s’adresser ?
Alexandre Thurel - Pour ma part, je peux parler de ma pratique puisque je ne fais plus que de la gestion de patrimoine. Il faut bien comprendre que ma réponse n’est pas une pos- ture ; les conseils s’adressent bel et bien à tout type de personnes ! Se pose la question « du demain ». Que se passe-t-il si je suis dans le coma ?
Que va-t-il advenir de ma petite maison pour laquelle j’ai épargné toute ma vie ? À qui reviendront mes liquidités ? Est-ce que je peux transmettre à une œuvre caritative ?
Il n’est pas question de parler de personnes fortunées et de défiscalisation, mais plutôt, par exemple, d’un grand-père qui, parmi ses petits-enfants, veut aider l’une de ses petites- filles, handicapée à plus de 85 %, car secouée par une nourrice il y a 15 ans, et dont la mère n’a pas une carrière qui lui permette de beaucoup épargner... Il faut garder en tête que la gestion de patrimoine, ce n’est pas pour faire de l’éco- nomie fiscale ! D’ailleurs, lors du 118e Congrès, aucun de nos vœux ne portait sur la fiscalité ! On ne parle quasiment pas de fiscalité sur les 1 700 pages du Congrès relatif à l’ingénierie patrimoniale. Le conseil en patrimoine, c’est répondre aux attentes des clients en fonction des objectifs visés par les clients, voire les corriger avec eux, car ils n’ont pas su les définir précisément. On cherche ensuite à mettre le tout en application et la fiscalité n’apparaît alors que comme une conséquence parmi d’autres. J’insiste : la gestion de patrimoine n’est pas liée à l’ampleur du patrimoine, sinon cela signifie- rait que seules les six premières villes de France pourraient s’y adonner quand le reste du pays serait « mis au ban ».
Les conseils en stratégie patrimoniale s’adressent à tout type de personnes !
Thierry Delesalle - La prise de conscience des confrères doit avoir lieu sur le fait que le conseil est rémunérateur ! Cette approche est un peu une révolution dans le milieu du notariat. Il faut qu’ils comprennent et qu’ils réalisent qu’à partir du moment où les chiffres d’affaires se réduisent de 20 %, il n’y a plus le choix. On veut lutter contre ce que nous avons tous connu et connaissons, à savoir passer du temps à conseiller, voir les clients quitter l’office satisfaits pour finalement subir l’absence de suite donnée au dossier... Autrement dit, on veut lutter contre le fait que le client choisisse de lui-même, en quelque sorte. Il s’agit donc de structurer efficacement le conseil et surtout de le facturer.
Alexandre Thurel - Certes, on ne peut pas tout prévenir, tout anticiper, mais quelque part, notre label, c’est un peu le sujet. Cela permettra aussi aux notaires de pallier l’inaction de leurs clients qui affirment qu’ils reviendront signer leurs mandats de protection future ou posthumes et qui ne reviennent jamais... Alors que la vie va leur jouer des tours. Il faut mettre en place des programmes de travail personnalisés avec les clients lorsqu’un problème est détecté et que nous avons les moyens d’y remédier (par exemple, la liste des actes à prévoir, les dates de signature, etc.). Cela implique aussi nécessairement une dimension psychologique, d’où le module d’écoute du client. Il ne faut pas que cela soit de la vente forcée, attention !
La Semaine Juridique - On a compris les gros avantages qu’offre ce label : la rapidité et la visibilité d’un label CSN, l’importance de développer d’autres ac- tivités dans un contexte d’effondrement de l’immobilier. Outre ceux résumés à l’instant, avez-vous envie de développer d’autres avantages qu’offre ce label pour inciter les notaires à s’y inscrire ?
Thierry Delesalle - Nous n’avons en effet pas suffisamment parlé du Family office. Bien qu’à la mode, c’est une démarche plutôt intéressante qu’il faut avoir vis-à-vis de son client pour lui expliquer qu’on va l’aider dans une transmission qui pourrait devenir conflictuelle. C’est ce que font déjà un peu les confrères, à ceci près qu’ils sont assistés par d’autres spécialistes. Par exemple, on a souvent besoin, en présence d’un chef d’entreprise, de recourir à l’aide d’un expert-comptable, voire à celle d’un avocat fiscaliste. On peut aussi avoir besoin d’un ban- quier... En d’autres termes, le Family office est une méthode de conseil interdisciplinaire qui vise donc à réunir autour d’une table tous les spécialistes et conseils du client. Fort de cela, l’intelligence collective qui ressort protège le client de ses préjugés. Cette technique permet en effet au client de se rendre compte, lui qui veut continuer à gouverner ses affaires, que ses prises de décisions sont parfois des erreurs. Il est alors plus enclin à accepter une stratégie différente de celle qu’il envisageait initialement. Le label va ouvrir une fenêtre sur cette technique spécifique de conseil. Ainsi, si des confrères souhaitent aller dans cette direction, ils sauront par où commencer et à qui s’adresser. Dans le module « découverte du conseil », il y aura des tables rondes sur le Family office. Des intervenants de haut niveau vont participer : des pro- fesseurs, des spécialistes des matières concernées, certains rattachés à Dauphine. Ce label est une véritable valeur ajoutée : on crée un lien particulier avec le client.
Alexandre Thurel - En faisant du sur-mesure, on attire une clientèle différente, en effet. Certes, c’est beaucoup d’investissement et de temps, car il faut écouter, mais c’est tout à fait passionnant. Les ventes, par exemple, prennent une autre dimension. La relation humaine, le fait d’apporter du soutien au client sont de véritables motivations. On rentre dans la vie des gens et on se sent utile.
La Semaine Juridique - Que répondriez- vous à un notaire qui vous dirait ne pas avoir le temps de donner ce conseil sur- mesure ?
Thierry Delesalle - Par le biais du label, nous allons insister sur cette problématique que rencontrent nos confrères. Nous allons tenter de leur faire comprendre que cela va leur prendre du temps et que cela implique nécessairement que l’étude se réorganise, que des tâches soient arrêtées. Souvent, ces conseils, comme nous l’avons déjà dit, ils les donnent, mais de manière non structurée ! Il va falloir qu’ils apprennent à les structurer, à les intégrer dans leurs organisations internes (soit un associé s’en occupe, soit un collaborateur...). Et puis, il faut le dire : le conseil patrimonial, parce qu’il demande beaucoup de temps, doit conduire à embaucher, voire à prendre un associé dédié à cela. Le Family office, par exemple, impose pour que son schéma soit viable de recruter... Quand bien même certains membres du personnel de l’étude seraient spécialisés en la matière, ils n’auraient pas le temps de conjuguer leurs différentes tâches.
Alexandre Thurel - En 2008, j’étais tout seul, aujourd’hui j’ai 12 personnes. Je ne fais plus d’immobilier complexe, ne fais quasiment plus de ventes, ni de successions. Aujourd’hui, c’est un choix. Pour mener à bien ce choix, il ne faut pas hésiter à créer une chaîne de production ; il faut des gens capables de restituer la solution et, pour ce faire, il faut ouvrir le capital pour que d’autres associés fassent ce que vous ne voulez plus faire. Si l’activité devient pérenne, le potentiel de dossiers est infini : tous les clients ont un problème...C’est pour cela que le label va développer un axe « gestion des offices » (créer un département, savoir facturer...) dans le module « écoute du client ».
Propos recueillis par Claire Babinet.